LE XX OCTOBRE. SAINT JEAN DE KENTY, CONFESSEUR.
Kenty,
l’humble village de Silésie qui donna naissance au Saint de ce jour, lui doit
d'être connu en tous lieux pour jamais. Retardée par mille obstacles, la
canonisation du bienheureux prêtre dont la science et les vertus avaient, au XV°
siècle, illustré l'université de Cracovie, fut la dernière joie, le dernier
espoir de la Pologne expirante. Elle eut lieu en l'année 1767. Déjà deux ans
plus tôt, c'était sur les instances de l'héroïque nation que Clément XIII avait
rendu le premier décret sanctionnant la célébration de la fête du Sacré-Cœur. En
inscrivant Jean de Kenty parmi les Saints, le
magnanime Pontife exprimait en termes émus la reconnaissance de l'Eglise pour
l'infortuné peuple, et lui rendait devant l'Europe odieusement oublieuse un
hommage suprême (1). Cinq ans après, la Pologne était démembrée.
Lisons le récit liturgique de la
fête.
Le nom de Kenty vint à Jean du lieu de sa naissance, au diocèse de
Cracovie. Stanislas et Anne, ses parents, étaient pieux et de condition
honorable. La douceur, l'innocence, le sérieux de l'enfant donnèrent dès l'abord
l'espérance pour lui des plus grandes vertus. Etudiant de philosophie et de
théologie en l'université de Cracovie, il parcourut tous les grades académiques,
et, devenu professeur et docteur à son tour, enseigna longtemps la science
sacrée ; son enseignement n'éclairait pas seulement les âmes, mais les portait à
toute piété; car il enseignait à la fois de parole et d'exemple. Devenu prêtre,
sans rien relâcher de son zèle pour l'étude, il s'attacha plus encore que par le
passé aux pratiques de la perfection chrétienne. L'offense de Dieu, qu'il
rencontrait partout , le transperçait de douleur; tous
les jours, pour apaiser le Seigneur et se le rendre propice à lui-même ainsi
qu'au peuple fidèle, il offrait le sacrifice non sanglant avec beaucoup de
larmes. Il administra exemplairement quelques années la paroisse d'Ilkusi ; mais effrayé du péril de la charge des âmes, il
s'en démit et, sur la demande de l'université, reprit sa
chaire.
Tout ce qui lui restait de
temps sur l'étude était consacré soit au salut du prochain, principalement dans
le ministère de la prédication, soit à l'oraison, où l'on dit qu'il était
quelquefois favorisé de visions et d'entretiens célestes. La
passion de Jésus-Christ s'emparait à tel point de son âme, qu'il passait à la
contempler des nuits entières ; il fit, pour s'en mieux pénétrer, le pèlerinage
de Jérusalem, ne craignant pas, dans son désir brûlant du martyre, de prêcher
aux Turcs eux-mêmes le Christ crucifié. Il fit aussi quatre fois le voyage de
Rome, marchant à pied et portant son bagage, pour visiter les tombeaux des
Apôtres, où l'attiraient son dévouement, sa vénération pour le Siège
apostolique, et aussi, disait-il, son désir de se libérer du purgatoire par la
facilité qu'on y trouve à toute heure de racheter ses péchés. Ce fut dans un de
ces voyages que, dépouillé par les brigands et leur ayant sur interpellation
déclaré qu'il n avait plus rien, il se ressouvint de quelques pièces d'or
cousues dans son manteau, et rappela en criant les voleurs qui fuyaient pour les
leur donner; mais ceux-ci, admirant la candeur du Saint et sa générosité, lui
rendirent d'eux-mêmes tout ce qu'ils avaient pris. Il voulut, comme saint
Augustin, avoir perpétuellement gravé sur la muraille l'avertissement pour lui
et les autres de respecter la réputation du prochain. Il nourrissait de sa table
ceux qui avaient faim ; il donnait à ceux qui étaient nus non seulement les
habits qu'il achetait dans ce but, mais ses propres vêtements et chaussures,
faisant alors en sorte de laisser tomber son manteau jusqu'à terre pour qu'on ne
s'aperçût pas qu'il revenait nu-pieds à la maison.
Son sommeil était court, et il
le prenait par terre ; il n'avait d'habits qu'assez pour se couvrir; il ne
mangeait que pour ne pas mourir de faim. Un dur cilice, la discipline, les
jeûnes étaient ses moyens de garder sa virginale pureté comme le lis entre les
épines. Il s'abstint même absolument de chair en ses repas durant environ les
trente-cinq années qui précédèrent sa mort. Plein de jours et de mérites, il
sentit enfin l'approche de cette mort à laquelle il s'était si longtemps, si
diligemment préparé; et, dans la crainte d'être retenu par quoi que ce fût de la
terre, il distribua aux pauvres, sans nulle réserve, tout ce qui pouvait lui
rester. Alors, religieusement muni des sacrements de l'Eglise, ne désirant plus
que de voir se rompre ses liens pour être avec Jésus-Christ, il s'envola au ciel
la veille de Noël. Les miracles qui l'avaient
illustré pendant sa vie
continuèrent après sa mort. On porta son corps à Sainte-Anne, l'église de
l'université, voisine du lieu où il avait rendu l'âme, et on l'y ensevelit avec
honneur. Le temps ne fit qu'accroître la vénération du peuple et le concours à
son tombeau ; la Pologne et la Lithuanie saluèrent et
honorèrent en lui l'un de leurs patrons principaux. De nouveaux miracles
éclatant toujours, Clément XIII, Souverain Pontife, l'inscrivit solennellement
dans les fastes des Saints, le dix-sept des calendes d'août de l'année mil sept
cent soixante-sept.
L'Eglise ne cesse point de vous dire toujours, et nous vous
disons avec la même indomptable espérance : « O vous qui jamais ne refusâtes de
secourir personne, prenez en mains la cause du royaume où vous naquîtes; c'est
la demande de vos concitoyens de Pologne, c'est la prière de ceux-là même qui ne
sont pas de leur nombre1. » La trahison dont fut victime votre malheureuse
patrie n'a point cessé de peser lourdement sur l'Europe déséquilibrée. Combien,
hélas ! d'autres poids écrasants sont venus s'entasser
depuis dans la balance des justices du Seigneur! O Jean, enseignez-nous à
l'alléger du moins de nos fautes personnelles ; c'est en marchant à votre suite
dans la voie des vertus, que nous mériterons l'indulgence du ciel (2) et
avancerons l'heure des grandes réparations.